PEUT-ON SE PROMENER DANS LES CANAUX ?
C'est possible, mais
vous risquez d'être déçus. Nous vous proposons trois pistes :
Dans les caves de certains commerces
rue de la Monnaie, dans le Vieux-Lille, subsistent de timides vestiges du canal du Cirque
asséché et assaini. Essayez sous les boutiques Olivier Desforges et Cottage, ouvertes au
public : cette dernière surtout vaut le coup.
Le canal Saint-Pierre, situé sous
l'Hospice Comtesse a été accessible au public lors des Journées du Patrimoine de 96 à
1998. Malheureusement, pour des raisons de sécurité et d'hygiène (absence d'issue de
secours et montée des eaux) il a été condamné.
Lire également : "Quand nos racines
remontent à la surface"
Si vous êtes patients, vous pourrez
bientôt déambuler dans le canal des Jésuites ! En effet, dans le cadre des
prochains travaux de l'hôpital militaire, la préfecture, nouvelle propriétaire,
envisage d'en faire l'un de ses halls d'accueil.
Lire également :"Quand "l'Isle" retrouve un de ses canaux"
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Jaillie de l'eau au moyen-âge, Lille s'est épanouie
grâce à son dense réseau de canaux. Mais avec l'industrialisation et la pression
démographique, l'insalubrité des eaux dormantes a obligé à engloutir les canaux dans
le sous-sol. Totalement rebouchés ou devenus égouts, les vieux canaux alimentent
aujourd'hui les fantasmes et laissent libre cours aux rêves de réhabilitation. Un pari
fou ? Tant mieux, répondent les uns. Inconscient, rétorquent les autres. Etat des lieux
d'une polémique au fil de l'eau. Pour les partisans du projet de
réhabilitation, le retour des canaux serait une fontaine de jouvence. Sauver le
patrimoine et faire plaisir aux yeux, tels sont les arguments avancés. La Ville y voit
une occasion d'attirer plus de touristes et de rendre le cadre de vie des Lillois plus
agréable.
Danger !
avertissent les détracteurs, qui dressent la liste des barrages au projet :
morcellement de la propriété des anciens canaux, coûts financiers importants, chantier
techniquement délicat, risque accru d'assèchement pour les sous-sols environnants et
d'effondrement pour les habitations.
Retrouver la cité engloutie
« L'eau
dans la ville, c'est magique ! » s'enthousiasme Jean-Jacques Lefèvre,
directeur de la voirie et de l'aménagement urbain à la ville de Lille. Depuis plusieurs
années déjà, la mairie socialiste joue la carte de l'eau. Après la rénovation des
berges de la Deûle et du quai du Wault autour de la Citadelle, le plus dur reste à
faire : rendre visibles et accessibles des canaux enfouis dans les sous-sols. Il
s'agit pour la ville de renouer avec son enfance "aquatique", lorsqu'on
l'appelait encore "l'isle".

Le Canal Saint-Pierre en
1906,
aujourd'hui sous l'Hospice Comtesse
(lille1900.com)
A Renaissance du Lille ancien, association du Vieux-Lille qui veut
préserver l'identité historique du quartier, on y songe de plus en plus sérieusement.
« Ce serait techniquement compliqué », reconnaît Jean-Denis Clabot, membre
du conseil d'administration. Mais « il est temps de restaurer la mémoire d'une
ville sortie de l'eau ». Pour s'imaginer l'aspect de Lille au moyen-âge, il faut en
effet penser à des villes comme Bruges, Gand ou Tournai, quadrillées de canaux.
La mairie veut avoir
les pieds dans l'eau
Comme ses prédécesseurs, Nicolas Dessault ,
archéologue municipal depuis trois mois, tient à ce projet. « Moi, je mettrais des
canaux partout à Lille, y compris autour de la Treille et jusqu'au quai du Wault. Ce
serait très joli à voir, et ça ferait du bien au tourisme », dit-il, confiant
dans la politique de la Ville. Celle-ci a cependant dû tempérer ses ambitions.
Le
premier projet de remise en eau des canaux a échoué. Désirant réhabiliter le canal de
Weppes, en face de Notre Dame de la Treille, elle s'est heurtée à un problème de
taille : la présence d'habitations au-dessus du canal souterrain. Aujourd'hui, le
seul projet réaliste pour eux concerne le retour de la Basse Deûle, bras du fleuve
asséché et situé sur l'actuelle avenue du Peuple Belge.
Même
si on planche sur le projet à la Mairie et à la Communauté Urbaine, sous l'oeil
favorable de Pierre Mauroy, la population n'est pas encore très informée. Pour emporter
sa faveur, la Ville se lance tout juste dans une campagne de sensibilisation.
Exemple :
la publication prochaine de Lille au fil de l'eau, une brochure réalisée en
collaboration avec les éditions La Voix du Nord. Car « il s'agit d'habituer
les Lillois à l'idée de l'eau », précise M. Dessault. Parallèlement, une vaste
exposition sur le même thème est en gestation. Alors, 2001, année de la montée des
eaux ?
Des obstacles techniques
contraignants
Rien
n'est moins sûr. Tout d'abord, la plupart des canaux sont désormais en-dessous
d'habitations. C'est le cas du canal de Weppes, en face de Notre Dame de la Treille, dont
la réhabilitation impliquerait la destruction des immeubles de la rue du même nom. A la
rigueur, le lit du canal du Cirque entourant l'église, serait réutilisable...
Mais
à moins de trouver la recette de l'étanchéité absolue, il y a peu de chances que les
habitants acceptent de voir l'eau couler devant leurs caves. Par ailleurs, tous les canaux
n'appartiennent pas à l'Etat. De nombreux tronçons sont tombés dans le domaine privé
lors de leur rachat par des propriétaires du XIXe siècle.
Autre
problème évoqué par Catherine Monnet, conservatrice du musée de l'Hospice Comtesse, la
mise en oeuvre technique. Où trouver l'eau après l'avoir asséchée ? « Je ne
vois qu'un seul moyen : aller la chercher jusqu'au quai du Wault, face à l'écluse
de la Barre, qui draine la Haute Deûle, au sud de la Citadelle.
Or,
la platitude du relief ne permettrait pas d'amener l'eau jusqu'au coeur du Vieux-Lille. Et
la stagnation des eaux entraînerait des problèmes de salubrité », qu'on a
justement souhaité éradiquer en asséchant les canaux au XIXe siècle... C'est le
poisson qui se mord la queue.
Pour Catherine Monnet, faire revivre des canaux enterrés
« n'a plus aucun sens aujourd'hui ». Pourtant les rêves d'eau les plus
troubles subsistent. Après l'avoir rejetée, les Lillois aimeraient se la réapproprier.
Serait-ce parce qu'ils entretiennent avec l'eau une relation de fascination ? C'est
clair comme de l'eau de roche.
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