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EN CE TEMPS-LA
FACHES-THUMESNIL

INVASION 14

de Maxence van der Meersch.
Un roman sur l'occupation allemande dans le Nord pendant la première guerre

Au cours de nos recherches sur la période 1914-1918, nous avons découvert parmi d'autres documents ce roman de 550 pages. Publié en 1935, manquant de justesse le prix Goncourt, il met en scène plus de 120 personnages. Sa particularité : il ne décrit pas les combats, mais la vie des populations civiles de la région Nord pendant toute la durée de son occupation.

Car la violence des combats et les souffrances endurées par les soldats ont occulté le fait qu'une partie de la France a été occupée et que sa population a subi un sort tout aussi tragique.

Mise en coupe réglée par l'armée allemande, la région Nord vit ses outils de production anéantis. Dans les usines, les machines sont démontées et expédiées en Allemagne. Seules quelques filatures roubaisiennes sont épargnées pour contribuer à l'effort de guerre teuton en fabricant des « sacs à terre » pour fortifier les tranchées. « J'ai refusé de tisser le linceul de nos fils » dit Eugène Motte, qui fut emprisonné puis déporté avec 150 otages dont 30 conseillers municipaux, 6 curés, 70 industriels et d'autres civils.

Ces quatre années furent une terrible épreuve pour les civils nordistes, épreuve ignorée par le reste de la France car l'information ne franchissait pas la ligne de front. Et quand elle la franchissait, elle était censurée par l'Autorité militaire pour ne pas nuire au moral des troupes.

Carte de Charles Vancoppenolle à sa femme,
écrite de Stendal en Allemagne, le 19 décembre 1915 et arrivée à Lille le 4 février 1916.
A noter l'adresse de destination : Lille, Arrondissement de Lille, Nord, France, Occupation Allemande

Le pillage provoquant la disette, l'occupant se débarrassa des « bouches inutiles » (femmes, enfants, vieillards, malades, indigents) sous prétexte humanitaire et les renvoya en France via la Suisse. Ces personnes déplacées subirent l'incompréhension et le mépris. On les traitait de « Boches du Nord » et on leur reprochait de ne pas avoir freiné les troupes allemandes.

Van der Meersch a recueilli de nombreux témoignages, de nombreuses informations. Il utilise également ses souvenirs (il avait 7 ans au début de la guerre). On retrouve tous les éléments comme dans le livre de Marc Blancpain « La vie quotidienne dans la France du nord pendant les occupations (1814-1944) »

Si les sources du roman sont vérifiables, elles perdent leur côté « impersonnel » : l'écrivain, par la magie du roman, nous rend proches les personnages. Malgré l'utilisation du pronom indéfini « on », le lecteur et l'auteur deviennent des témoins, et les personnages des représentants de groupes sociaux (ouvriers, patrons, femmes isolées...)

Maxence Van Der Meersch est originaire de Roubaix où il situe l'action de son roman : quartier de l'Epeule, parc Barbieux, rue de Lannoy. À Lille : rue du Molinel, rue Saint Sauveur, église saint Maurice... Et le village imaginaire de Herlem représente Bondues.

Le tableau historique est remarquablement précis et évoque entre autres le terrible hiver 1917 et ses dramatiques conséquences sur une population déjà affaiblie par 3 années de privations. Dans les maisons on brûle tout ce qui peut l'être: chaises, rampes d'escalier...

Les occupants ont réquisitionné les matelas, la vaisselle, les outils, les couvertures. Le bois et le charbon manquent. L'occupant s'empare des récoltes. La famine affaiblit les organismes, les maladies se multiplient.

« La faim régnait, une faim désespérée, résignée, sans rage ni fureur ni révolte. On se sentait dans les mains d'un ennemi trop fort. »

l'Histoire et le roman se conjuguent lorsque Van der Meersch nous présente les attitudes prises par divers groupes sociaux. Paysans résignés, industriels qui refusent de servir l'ennemi et ceux qui, au contraire, profitent de la période. Dans ce contexte, résistants et collaborateurs s'opposent.

Le fictif abbé Sennevilliers qui fabrique une TSF a réellement existé : c'était l'abbé Pinte qui, avec Joseph Willot et Firmin Dubar, diffusaient un journal clandestin : « la Patience » [note] (la Fidélité dans le roman)

L'auteur évoque aussi les femmes roubaisiennes razziées et envoyées dans les Ardennes pour divers travaux à Pâques 1916 : « Deux soldats vinrent chercher Annie comme les autres, et la firent descendre dans la rue avec son paquet de linge et de vivres, préparé depuis longtemps »

Il évoque aussi ceux qu'on appellera « brassards rouges », jeunes gens qui refusent de travailler pour l'occupant et qui seront expédiés près des lignes de front.



Les civils refusant de travailler pour l’occupant sont intégrés dans des bataillons de travailleurs civils surnommés « les Brassards Rouges », en raison du brassard qu’ils sont obligés de porter.

Ils font l'objet autre d'un roman de Van der meersch « Le brassard rouge » demeuré inédit.

Malgré toutes ses souffrances, la population va souvent compatir à celles des soldats allemands, car l'humanité des gens du Nord est plus forte que le ressentiment qu'ils pourraient éprouver envers leurs bourreaux, des bourreaux qui, souvent, sont aussi des victimes tels ces jeunes soldats envoyés au front :

« On ne pouvait s'imaginer que ces gosses s'en iraient au front, se feraient tuer. On avait peur pour eux. Comment aurait-on pu haïr cette pauvre et naïve jeunesse ?[...] Beaucoup faisaient signe de la main aux Sennevilliers : « Adieu, adieu !... » et Berthe répondait de la main et pleurait : « Nos soldats, nos pauvres soldats ! » Ils étaient devenus nos soldats. Elle avait oublié sa haine. »

La lecture de ce roman vous aidera à comprendre la détresse des populations civiles. Comme me disait pudiquement mamie Julie : « pour les soldats c'était dur mais pour nous aussi » Elle ne m'en a jamais raconté plus, peut-être de peur de ne pas être crue...

Alors retrouvez la Grande Histoire à travers ce roman et son témoignage sur la vie des civils dans la zone occupée. Bonne lecture !

Charline Escudié,
en souvenir de Marie-France Repillet (ancienne vice-présidente)
avec qui je voulais faire cet article.



Exemples d'affiches destinées à la population occupée de Roubaix en 1917

SOURCES :

  • La résistance à Roubaix durant la grande guerre (Office du tourisme)
  • Bibliothèque numérique de Roubaix
  • Sur les pas de Maxence Van Der Meersch site du Collège Van der Meersch à Roubaix
  • Nord' revue de critique et création littéraires du Nord-Pas de Calais par Bernard Alluin, 1983
  • Van Der Meersch d'hier à aujourd'hui par Anna Van Buck, le Luy de France 2007
  • Roubaix depuis toujours bande dessinée par Lemaire et Mangin Le téméraire 1992
  • INVASION 14 est édité chez Albin Michel 2014